Discours du Mois – Mai 2013
Konrad Adenauer le 23 janvier 1963
Le 23 janvier 1963, le chancelier allemand Konrad Adenauer prononce une allocution télévisée pour commenter la signature, la veille à l'Élysée, du traité d'amitié franco-allemand en matière de sécurité et de diplomatie.
« Hier soir, à cette heure-ci, nous avons signé à Paris un traité devant régler pour une durée illimitée la coopération entre les deux peuples. Du côté français, le président de la République française De Gaulle, le Premier ministre Pompidou et le ministre français des affaires étrangères Couve de Murville y ont apposé leur signature; du côté allemand, j’ai moi-même signé ce traité en tant que chancelier fédéral, de même que le ministre des affaires étrangères Schröder. Ce traité a été très soigneusement élaboré pendant plusieurs mois par les ministères des affaires étrangères de la France et de la République fédérale d’Allemagne. Je crois qu’en son genre, ce traité est unique dans l’histoire, parce qu’il prévoit le maintien de relations amicales entre les deux peuples pour une durée indéterminée. Cette amitié devra être cultivée dans toutes les couches et dans tous les milieux de la population.
Le président français De Gaulle a qualifié le processus de signature d’unique dans l’histoire, et je pense qu’il a raison. Lorsque nous lisons ce traité, nous devons garder à l’esprit les événements historiques passés. Depuis plus de quatre siècles il y a eu, entre l’Allemagne et la France, des tensions et des litiges qui ont mené bien souvent à des guerres sanglantes. Permettez-moi de rappeler que la dernière guerre avec la France de laquelle nous sommes sortis vaincus ne remonte pas à si longtemps que cela. Permettez-moi également de rappeler que l’Allemagne courait alors un grave danger, le danger d’être divisée et morcelée. Même maintenant nous ne sommes toujours pas réunis, et c’est pour cette raison que ce traité renferme aussi la clause sur Berlin, qui est inscrite dans tous les traités signés avec des pays étrangers.
Mais si l’on observe l’histoire et que l’on regarde le revirement qui s’est déjà en partie opéré dans les relations entre ces deux peuples et qui continuera à se poursuivre à l’aide de ce traité, force est de constater qu’un progrès formidable a été accompli dans l’histoire de ces deux peuples qui se situent au centre de l’Europe, qui sont voisins, qui sont menacés par des dangers communs et dont le destin, à en juger d’après l’évolution que le monde a connue, sera le même. Quelle chance en effet que ces deux peuples se soient enfin trouvés!
Chères auditrices, chers auditeurs, l’Europe n’existerait pas s’il n’y avait eu, préalablement, cette véritable réconciliation entre la France et l’Allemagne. Toutes les institutions européennes que nous avons pu créer jusqu’à présent seraient impensables s’il n’y avait pas de coopération entre la France et l’Allemagne. Je pèse mes mots quand je dis que la République fédérale d’Allemagne n’occuperait pas dans le monde la place qu’elle occupe maintenant si elle vivait toujours dans un état de tension avec la France, tel qu’il existait à la fin de la guerre.
Je suis fermement convaincu que ce traité sera décrit un jour dans les livres d’histoire comme l’un des traités les plus importants et les plus précieux de l’après-guerre et suis persuadé qu’il aura des effets bénéfiques pour les deux peuples, pour l’Europe et pour la paix dans le monde.
L’accueil réservé à la délégation allemande hier et avant-hier à Paris, en particulier auprès du président de la République française Charles de Gaulle, a été extraordinairement amical et chaleureux. Les ministres qui m’ont accompagné, les ministres français, le président de Gaulle et moi-même avons pu nous entretenir en toute franchise sur les graves problèmes qui se posent dans le monde. Nous avons pu également, au cours d’entretiens communs qui nous ont tous réunis, donner très ouvertement et très clairement notre opinion sur tous les sujets, et j’ai pu constater à ma grande joie que les ressortissants des deux peuples étaient absolument d’accord sur tous les points essentiels.
Je pense qu’il ne serait guère opportun, chères auditrices et chers auditeurs, de vous présenter le traité en détail. Ce traité, il faut le lire, et d’ailleurs les journaux vont le publier. Nous le transmettrons au Bundesrat et au Bundestag, étant donné qu’en vertu de notre Constitution chaque traité conclu avec l’étranger doit être approuvé, sous forme de loi, par le Bundesrat et le Bundestag. J’espère que d’ici quelques mois, c’est-à-dire dans le délai usuel qu’il faut chez nous à une loi pour obtenir force de loi, ce projet aboutira lui aussi, et que nous pourrons alors poursuivre le travail entamé depuis plusieurs années entre la France et l’Allemagne.
Il y a une chose que j’aimerais souligner. Une grande partie du traité est consacrée aux jeunes. L’objectif visé consiste à ce que les jeunes des deux nations et de toutes conditions, c’est-à-dire pas seulement les écoliers ou les étudiants, mais aussi ceux qui travaillent déjà, apprennent à se connaître, à connaître la langue de l’autre, à partager leurs richesses naturelles et culturelles, et puissent ainsi retrouver une grande patrie dans le pays de l’autre. C’est là, je crois, un but que chacun, y compris chaque homme politique, doit approuver sans condition. Étant donné que ce traité est destiné à durer de nombreuses années, la jeunesse allemande et la jeunesse française sont appelées, dès lors et à l’avenir, à le concrétiser dans les faits.
Lorsque nous avons quitté l’Élysée hier, nous avions tous, Français et Allemands, le sentiment certain d’avoir accompli quelque chose de bien – permettez-moi de répéter ce que je viens de dire – quelque chose de bien pour l’Allemagne et la France, pour l’Europe et pour la paix partout dans le monde. »
Konrad ADENAUER
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Crédit Photo : Traité de l'Elysée - © DR